Premières années et accession au pouvoir
Né à Port-au-Prince d’une famille originaire de Martinique1, il suit sa scolarité au Lycée Pétion où il obtient son diplôme de fin d’études secondaires en 1928. Il s’inscrit ensuite à l’École de médecine de Port-au-Prince, puis commence à pratiquer dans les régions rurales. Il s’attire alors la faveur des populations pour son aide à la lutte contre le typhus, le pian et d’autres maladies de l’extrême pauvreté. Il y gagnera aussi son surnom de « Papa Doc ». En 1939, il épouse à Pétionville Simone Ovide, une infirmière que l’on appellera plus tard Maman Simone, avec laquelle il aura trois filles, Marie-Denise, Nicole et Simone, et un fils, Jean-Claude.
Duvalier fréquente à cette époque l’ethnologue Lorimer Denis, spécialiste du culte vaudou et militant de la cause noire. Il partage ses idées, qu’il développe dans les articles qu’il écrit pour des revues nationalistes comme Les Griots. Il y défend notamment l’idée que la lutte des classes, en Haïti, s’illustre par l’opposition entre les Noirs et les Mulâtres, et que les premiers sont appelés à diriger le pays au détriment des seconds.
Duvalier s’appuie sur les relations de Lorimer Denis pour rencontrer Daniel Fignolé avec lequel il participe à la fondation du Mouvement des Ouvriers Paysans en 1946 dont il devient secrétaire général. Sa popularité dans les campagnes et son introduction dans les milieux politiques incitent le président Dumarsais Estimé à le nommer en 1946 directeur de la Santé Publique. En 1949, il devient ministre de la Santé Publique et du Travail. Après s’être opposé au coup d’État de Paul Magloire, qui renverse Estimé en 1950, il est poussé à l’exil et s’engage dans l’opposition.
Profitant de la chute de Magloire et de l’amnistie décrétée en 1956, il se porte candidat à la présidence de la République dans un climat d’agitation sociale et d’instabilité politique : entre décembre 1956 et juin 1957, cinq gouvernements provisoires se sont succédé, le parlement a été dissous et des factions de l’armée continuent à s’affronter.
Duvalier fait campagne avec un programme, populiste qui vise à flatter la majorité afro-haïtienne en s’appuyant sur une stratégie raciste « pro-négritude » (ou « noiriste ») opposée à l’élite des mulâtres. Les élections sont organisées le 22 septembre 1957 par le général Kébreau, président du Conseil Militaire du Gouvernement. Duvalier est élu avec 69,1 % des voix, son principal adversaire Louis Déjoie ne recueillant que 28,3 %.
Consolidation du pouvoir
Dix mois après son accession au pouvoir, en juillet 1958, François Duvalier doit affronter une tentative de coup d’État. Il réagit en instaurant l’état de siège et en exigeant du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets (31 juillet 1958). Il écarte de l’armée les officiers qui ne lui sont pas fidèles, interdit les partis d’opposition et mène une politique de répression. Avec l’aide du chef de la police Clément Barbot, il organise la milice des Volontaires de la Sécurité Nationale, plus connue sous le nom de ses membres, les Tontons macoutes. Ce groupe paramilitaire de 5 000 à 10 000 membres, inspiré des chemises noires de l’Italie fasciste, ne touche aucun salaire, mais vit de l’extorsion et du crime organisé3.
En 1959, alors qu’il est soigné à l’hôpital pour une crise cardiaque, un commando tente de débarquer sur l’île. Le chef de la police secrète, Barbot, fait alors appel à la marine américaine pour empêcher l’opération. Sitôt rétabli, Duvalier fait emprisonner Barbot, qu’il soupçonne de vouloir prendre le pouvoir, et l’accuse de complot contre l’État. Barbot sera finalement assassiné par les Tontons macoutes en 1963 avec ses deux frères et d’autres compagnons.
En quelques années, Duvalier devra faire face à une dizaine d’attentats, de tentatives de renversement et d’invasions. Il en tire parti à chaque fois pour renforcer son image de défenseur de la patrie, éliminer ses adversaires et durcir son pouvoir personnel. Il asservit l’armée, entretient la corruption, supprime les libertés civiles et institutionnalise la terreur : massacres, exécutions sommaires, pillages et viols deviennent le quotidien du pays.
S’appuyant sur le climat de guerre froide et sur le cas de la révolution cubaine, il exploite la peur du communisme pour justifier la répression et obtenir le soutien des États-Unis. Le 25 juin 1960, il prononce à Jacmel un discours qui met en relation l’orientation politique de son régime et l’aide américaine.
En avril 1961, deux ans avant la fin de son mandat, il réécrit la Constitution et organise une élection présidentielle à candidat unique. Il obtient 1,32 million de voix, et aucun vote contre. Réélu pour un autre mandat de six ans, il prononce la dissolution du Parlement. En réaction à l’opposition de l’église catholique romaine, il expulse plusieurs prêtres, l’archevêque de Port-au-Prince, Mgr Poirier, et deux évêques, ce qui lui vaut son excommunication en 1961. Trois ans plus tard, il expulse les jésuites.
Culte de la personnalité
Le drapeau d’Haïti conçu par Duvalier en 1964
Pour échapper à toute incertitude électorale, Duvalier se proclame président à vie en juin 1964. Libre de toute opposition, ses adversaires ayant été éliminés ou exilés à l’étranger, il modifie les couleurs du drapeau haitien, qui devient noir et rouge au lieu de bleu et rouge, impose l’affichage de son portrait dans les rues, les bâtiments publics et les établissements scolaires7. L’exil des cadres politiques, administratifs et techniques, le détournement des ressources de l’économie haïtienne mène le pays à la faillite, le PIB chutant de 40 % entre 1960 et 19708.
En 1966, Duvalier reprend contact avec le Vatican et obtient le pouvoir de nommer la hiérarchie catholique haïtienne. Perpétuant un nationalisme noir, il réussit ainsi à renforcer son emprise sur l’île par le contrôle des institutions religieuses.
Parallèlement, il ranime les traditions du vaudou, les utilisant pour consolider son pouvoir : il prétendait être lui-même un hougan et a délibérément modelé son image sur celle du Baron Samedi pour se rendre encore plus imposant. Il portait souvent des lunettes de soleil et parlait avec un fort ton nasal associé au Lwa. À la mort de John Fitzgerald Kennedy, il déclara que l’assassinat était la conséquence d’un sort qu’il lui avait jeté.
En 1970, atteint par la maladie, il fait modifier la Constitution afin de pouvoir désigner comme successeur son fils de 19 ans, Jean-Claude Duvalier. Cette modification constitutionnelle est validée par le référendum de 1971 à Haïti.
Il meurt quelques mois plus tard, le 21 avril 1971, après 13 ans et demi de pouvoir absolu. Jean-Claude Duvalier, qui sera surnommé « Bébé doc », lui succède dès le lendemain.
Profanation du tombeau
Le 8 février 1986, quand tombe le régime des Duvalier, la foule s’en prend au mausolée de « Papa Doc », qui sera détruit à coups de pierres et à mains nues ; le cercueil est sorti, la foule danse dessus puis le met en morceaux ; elle s’empare du corps du dictateur pour le battre rituellement, joue avec ses lunettes, et chante « les tontons macoutes, ils mangent du caca ! ». Pendant cette journée, on dénombre une centaine de victimes, essentiellement des tontons macoutes.
Œuvres
Problème des classes à travers l’histoire d’Haïti : sociologie politique (avec Lorimer Denis), Service de la Jeunesse de Port-au-Prince, 1948.
Face au peuple et à l’histoire, Service d’Information et de Documentation de Port-au-Prince, 1961.
Histoire diplomatique, politique étrangère : géographie politique, politique frontérale, Presses nationales d’Haïti, 1968.
Œuvres essentielles, Presses nationales d’Haïti, 1968.
Hommage au martyr de la non-violence, le révérend Martin Luther King, Jr., Presses nationales d’Haïti, 1968.
Hommage au Marron inconnu, Presses nationales d’Haïti, 1969.
Mémoires d’un leader du Tiers Monde : mes négociations avec le Saint-Siège ou Une tranche d’histoire, Hachette, 1969